Sony LABOU TANSI – Congo Brazzaville

Sony Labou Tansi, écrivain de Brazzaville, Congo

  

Sony Labou Tansi (1947-1995), écrivain dramaturge du Congo Brazzaville reconnu comme père de la littérature francophone.

  

Récits : 'La Vie et demie, Seuil, 1979 , 'L'État honteux', Seuil, 1981 ; 'Lèse-majesté', ACCT, 1982 ; 'L'Anté-peuple', Seuil, 1983, Grand prix littéraire d'Afrique noire ; 'Les sept solitudes de Lorsa Lopez', Seuil, 1985. Palme de la Francophonie ; 'Les Yeux du volcan', Seuil, 1988 ; 'Le Coup de vieux', Présence Africaine, 1988 ; 'Le Commencement des douleurs', Seuil, 1995 ; 'L'Autre Monde', Revue noire, 1997.

  

Théâtre : 'La Parenthèse de sang', suivi de 'Je soussigné cardiaque', Hatier, 1981 ; 'Moi, veuve de l'empire', L'Avant-Scène, 1987 ; 'Qui a mangé madame d'Avoine Bergotha', Lansman, 1989 ; 'La Résurrection rouge et blanche de Roméo et Juliette', revue Acteurs, 1990 ; 'Une chouette petite vie bien osée', Lansman, 1992 ; 'Une vie en arbre et chars...bons', Lansman, 1992 ; 'Théâtre complet', 2 volumes, Lansman, 1995 ; 'Antoine m'a vendu son destin', Accoria, 1997 ; 'La Rue des mouches', Éditions Théâtrales, 2005 ; 'Qui a mangé Madame d'Avoine Bergotha', Lansman, 2014 ; 'Qu'ils le disent, qu'elles le beuglent', Lansman, 2014 ;: 'Une vie en arbre et chars... bonds', Lansman, 2015 ; 'Une chouette petite vie bien osée', Lansman, 2015

  

Poésie : 'Poèmes et vents lisses', Le Bruit des autres, 1995 ; 'Poèmes', édition critique, coordinbation Claire Riffard et Nicolas Martin-Granel, en coll. avec Céline Gahungu, Paris, Éditions du CNRS, coll. « Planète Libre », 2015

  

Aux Éditions Revue Noire : 'L’Autre monde, écrits inédits' (1997), 'L’Atelier de Sony Labou Tansi, correspondances, poésie, roman inédits' (2005)

  

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Lettre infernale à Monsieur Arthur Rimbaud

["La Lettre infernale à Monsieur Arthur Rimbaud" a été écrite pour la commémoration du centenaire de la mort de Rimbaud et a été publiée dans RN 08 en décembre 1992, texte inédit original en français. L'acteur - metteur en scène Jean-Paul Delore propose sur scène une étonnante lecture de ce texte.]
[Ce poème ’Lettre infernale’ peut être considéré comme un échange d'idées avec son compatriote Tchicaya U Tam’si et son texte ’La Source’  publié dans Revue Noire RN 05 de juin 1992]
  
  

Monsieur Rimbaud

Je vous le dis droit

dans l’âme

Ce monde est mort

Y compris la France

Je vous le redis

Tout droit dans la culotte

Ce monde finit bientôt

de mourir

Et vous n’irez plus

ni en Abyssinie ni en Asie

commercer d’absinthe

d’idées hautes comme des herbes

de belles humeurs

d’enthousiasmes panés

de panicules d’armes

Scuds artisanaux et mesquins

ambiances frêles – plus jamais

  

Non Monsieur Arthur

Vous n’irez plus

Vendre la queue du paon

et la queue du patron

Ni au bleuissant désert

de Nubie

Ni aux confins ardents

des chutes du Niamand-Garam

Les bêtes à la panure d’eau

de vent

et d’argent ne vous regarderont

plus du fond de la cervelle –

  

C’est fini Monsieur Arthur

À moins d’un écoulement d’artères

Vous ne sauterez plus

tous les buissons de la connaissance

intimement liée

au profit –

  

Monsieur Arthur je vous le dis

d’Afrique

entre bérets verts français

et azimuts italiens nègres

Vous ne vendrez plus

cent mille grincements de vent

cent mille courtes pailles

tirées au destin d’un Verlaine

à l’arme rouge maintenant comprise –

  

Maintenant que le bleu

est porté couleur de l’humanité

Vous n’irez plus vous balader

à Charleville

ni à Charleroi

ni à Charles de Gaulle

autrement que coincé

entre un Journiac hennissant

et un Genet pété à quatre

épingles d’angoisse blanche

dans une France lâchée

en cow-boyonie centrale

et où il fait froid aux yeux

au cerveau

à la bile

aux couilles

au dictionnaire…

  

Vous-même Monsieur Arthur

académicien des vents d’ouest

Vous n’irez plus d’ailleurs

que dans la tempête des bombes

aspiratoires –

  

Et l’on vous sommera

de passer l’aspirateur

sur l’académie des sciences morales

  

Monsieur Arthur

Pitié pour cette France

qui n’a jamais eu plus grand

que la raison et la culture

France jetée au vent

et qui ne germera pas

avant le siècle dernier –

  

Monsieur Arthur

Y en a bon français

de nègre dans vos semelles

et du mazout cru

et des crues d’arcs-en-ciel

et des cuites léoniennes

et du gain cahotique

et du sang arabe –

  

Vous pouvez me croire

à l’oreille d’un mot neuf

à fleur d’espérance loupée

à voix coriace

aussi dure que le mont Cameroun –

à espoir égal

Moi Cham

héritier du napalm

commandeur gazé

triché corps et âme

Il n’y a plus de saisons

en Enfer – plus de raison

plus de rien –

que du pain gras

grassant

harassant

sans odeur –

plus de connaissance

plus d’angoisse en fleurs

on débarque tous les vents

pour danser la danse

du petit danseur blanc

Blancs de l’anus à l’âme

Et ça triche

ça ment

ça mentionne aux abords

de l’esprit –

Éminences grises

et manuelles à gogo

toute couille posée

et bien gardée

la bourse bave

Elle bavera

Cinquante degrés sous zéro

c’est à cette température-là

qu’on fait les poètes

  

Mais la France Monsieur Arthur opte pour le feu

Feu de bois

Que non –

Feu de tibias en Tchad coulée

une saison à cinq avrils

et ça coule

et ça coulera –

le feu tient lieu de raison

et la faim

et le débarquement des jambes

Maison Viannay d’ordures

savantes –

Mazenan

Bardey ça barde

au fin fond des cavalcades

  

Je vous le dis d’Afrique

mère cocue

nous n’étoufferons plus

maintenant que le monde entier

n'est plus entier –

Avec une mère – patrie

malade de cent pestes

Le métier – même de s’accroupir

est bradé à mort

contre des pierres lancées

contre du plomb

Tadjoura hennit

comme un vieux cheval blanc

blancheur d’escrocs

angoisses vertes en pays-tibia

corps vêtus de soie

âme nue

qui a dénudé l’intelligence

  

Monsieur Arthur

je vous le jure

Nous ne ferons plus

que des voyages à blanc.

  

Sony Labou Tansi, Brazzaville, le 21 février 1991

  
  

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Le Testament de Juliette

 

[extrait de ’La résurrection rouge et blanche de Roméo et Juliette’ (théâtre) d'après William Shakespeare,
publié dans RN 01 en mai 1991, texte original en français]

  
Cher amour, j'ai bu tes mots et j'en meurs parce que ta chair est condamnée à la mienne par le lien des feux qui nous lient, comment pourrais-je respirer sous un ciel éteint sous les yeux d'un soleil écroulé. Ton sang convoque le mien ton cadavre exige le mien — nous, mariés de quelques heures devons porter nos corps vers la même fleur fatale. Je me dépouille de la robe vivante pour aller rencontrer la cristalline nudité de ton âme. Comment aurais-je pu faire autrement — Roméo soleil en panne cadavre ardent je viens à toi en cette robe mise hier devant Dieu et la Sainte Église. De quelle autre témérité devrais-je me vêtir où aurais-je en le cœur de garder le corps mesquin que je t'ai promis. Mon amour laissons ce ciel malade aux impurs soyons fidèles au même rêve lisons du même chapitre dans le livre de la mort la saveur de notre commune mesure — en notre commun destin.
  
Roméo cadavre délicieux où mon cœur s'échoue, ouvre ton silence, laisse-moi boire à la source d'une lèvre éteinte la modification du monde et l'ardeur qui nous aime ensemble. (…)
  
Hommes de cette terre encore une fois vrombissez tissez votre querelle maudite mangez votre mort. Vous qui avez faim d'intrigues soyez aussi gras qu'il vous sied allumez une autre querelle pour assassiner encore d'autres innocents encore une autre fois faites semblant d'être humains écrasez bâclez brûlez étripez les âmes fragiles — hélas ! vous ne m'avez point donné assez de haine pour vous haïr — j'entre vierge sous les verrous de l'amour qui m'a épousée — Roméo attend le temps de fermer ma lèvre et j’arrive… (silence)
  

Sony Labou Tansi
  
extrait de ’La résurrection rouge et blanche de Roméo et Juliette’ (théâtre) d'après William Shakespeare, 

publié dans ’Revue Acteurs-Auteurs’ no 83, septembre ,Acte Sud.

Mise en scène Sony Labou Tansi, décors et costumes Hélène Delprat

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