ART
(Port-au-Prince, Haïti)
né en 1964
vit et travaille à Port-au-Prince.
Mario Benjamin travaille dans une pièce ouverte sur le jardin à coté de la maison de sa mère à Port-au-Prince. Il est très attaché à son environnement et son île, Haïti, même s’ils sont devenus pour lui synonymes d’enfermement, d’univers limité par rapport au reste du monde. Breton et Malraux avaient déjà 'catalogué l’art haïtien' en le réduisant à la peinture naïve, aux forgerons marqués par le vodou et à son histoire de première République noire. Mario Benjamin ne pouvait se limiter à ces expressions si éloignées de sa réalité, même s’il accepte volontiers le rôle joué dans son subconscient par certains rituels vodous.
Il a parcouru très jeune les livres d’art de la bibliothèque familiale (son père est architecte, sa mère dans sa jeunesse actrice au théâtre puis pharmacienne) et a visité nombre de musées américains. Il a commencé au début des années 1980 par la peinture hyper-réaliste, qu’il vend alors facilement, les happenings et le théâtre vivant encore très en vogue à l’époque.
Sa rencontre avec la très respectée artiste afro-américaine Lois Mailou Jones du mouvement Harlem Renaissance de l’entre-deux-guerres, mariée à l’artiste haïtien Louis Vergniaud Pierre-Noel, transforme cet autodidacte par ses conseils sur la chromatique et l’équilibre des compositions. Il a alors en main tous les outils pour explorer sa sensibilité hors les modèles pré-établis de l’artiste ’haïtien’…
[déroulez le diaporama ci-dessous]
Déjà à l’époque, Mario Benjamin cache, derrière une apparence solide et sûr de lui-même, une âme troublée et angoissée. Il s’amuse de provocations en tenues extravagantes, de mises en scène d’avant-garde, d’expérimentations. Il réorganise l’intérieur de la maison familiale et son jardin en univers imaginaire d’objets inventés en temple animiste. Ses propres ténèbres apparaissent petit à petit.
En 1997, pour une exposition à Paris, ’L’Art dans le Monde’, il peint le premier portrait d’une longue série, à coups de pinceau violents sur un fond noir profond. Dans les nombreuses peintures de portraits qui suivront, peints à la brosse débordant la toile, visages aux yeux exorbités et marqués par l’angoisse, sur fond de couleur vive unie, il fait face aux images de ses délires, leurs donnent vie. Désormais, il recherchera dans ses peintures à comprendre l’essence même de sa réalité d’homme face à ses espoirs et ses frayeurs, face à la vie et la mort. S’il se défend de nommer ses toiles des autoportraits, il y a bien en elles le terrifiant miroir.
Ses moments de crise qui le mènent en incarcération à l’hôpital, pourtant douloureux et traumatisant, sont devenus pour lui un ressourcement vital nécessaire où il puise une part de sa vérité, celle mêlée d’irrationnel et de délires.
Mario Benjamin est aussi très sensible à l’essence même de la nature, sa nature tropicale carnivore qu’il a laissé envahir dans l’espace extérieur jouxtant son atelier. Il ne peux imaginer celle-ci jardinée, domestiquée, coupée de toute relation avec les esprits mythiques, ces êtres monstrueux qui hantent l’obscurité. Une nature à la 'Bomarzo'. Il aime la force incontrôlable presque surnaturelle de cette nature sauvage qui répond à d’autres forces du monde.
Mario Benjamin est aussi attiré par les installations. Celles-ci, réalisées dans un état d’esprit plus léger, plus détaché que lorsqu’il peint, mettent en scène la poétique des matériaux (souvent des éléments se retrouvant sur les marchés de Port-au-Prince comme les toiles plastiques imprimées ou les fers découpés) dans un propos lié à au quotidien (le carnaval, la végétation ou les images furtives d’un rêve).
On peut dire que c’est à travers la peinture que Mario Benjamin s’exprime totalement. Il n’est pourtant pas facile au XXe et XXIe siècle de peindre sur châssis et toile. Un acte de peindre qu’il décrit comme une douleur. Cette peinture qui le consume tant, qui le dévore tant. Cette peinture lui permet d’exprimer l’innommable, laissant le commissaire ou le critique à court de mots et de commentaires. L’oeuvre est autonome et entière, seule face à l’artiste et à l’observateur.
Curieusement, il commence toujours par des photographies de portraits d’amis proches comme éléments premiers de ses peintures. Une façon d’inscrire son travail dans un combat entre le réel, sa représentation, et lui-même. Dans une impossible compréhension du monde où il vit. Mais dès le fond de couleur brute étalé, fluorescente parfois, jaune, rouge, verte ou noire, une forme de transe s’empare de lui le replongeant dans les crépuscules volcaniques, à la recherche de sa propre vision, de son monde. Il jette alors à grands coups de brosse les traits qui formeront le visage terrifiant qui le regarde.
C’est ce profond travail intime qu’il est possible de faire à travers la peinture, elle seule dans son face à face solitaire, plongé dans un au-delà, proche de la transe, alimenté des croyances et des délires.L’intimité de Mario Benjamin est troublante, maniaco-dépressif, il s’est déjà pris pour le Christ ou Baron Samedi. Les ogres démons qui apparaissent sur ses toiles ne nous sont pas inconnus. Ils font resurgir en nous les cauchemars de l’enfance, les appréhension de la vie, le trouble de la mort. Ce que nous n’acceptons que rarement de regarder. C’est en cela que l’oeuvre de Mario Benjamin est unique et importante. Elle représente la part inavouable de nous-même.
par Pascal Martin Saint Leon, 2012
EXPOSITIONS
(sélection)
2013 : BIAC, biennale de La Martinique
2012 : solo show, Revue Noire, Paris
: «In Extremis : Death and Life in 21st Century Haitian Art», Fowler Museum, UCLA University of California, Los Angeles
: «Caribbean Crossroads of The World» Queens Museum, New York
2011 : Venice Biennial, Venice, Italy
: «Haïti Royaume de ce Monde», galerie Agnes b, Paris
2010 : solo show, Botanique Museum, Brussels, Belgium
2009 : «Latitudes-Terre du Monde», Havana Biennial, Havana , Cuba : «Kreyol Factory», Parc de la Villette, Paris
2008 : Gwangju Biennial, South Korea
2007 :Afronova, Johannesburg, South Africa : Venice Biennial, Venice, Italy
2005 : Salon d’art Contemporain de Montrouge, France
2004 : «Lespri Endepandan», Frost Art Museum, Miami, USA : Etter Colombus.com, Kunstnernes Hus, Oslo, Norway
2003 : installation, Museum of Contemporary Art, North Miami, USA
2001 : solo show, Halle Saint-Pierre, Paris : Caribbean Biennial, Santo Domingo
: Venice Biennial, Venice, Italy
2000 : solo show, Art Museum of the Americas, Washington DC : «Haïti : Anges et Démons», Halle Saint-Pierre, Paris
Livre Revue Noire
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