Philippe Koudjina – Photo

© photo Philippe Koudjina, 'La joueuse d'accordéon', Niamey, ca. 1960-1975
© photo Philippe Koudjina, 'La joueuse d'accordéon', Niamey, ca. 1960-1975

PHOTO

(Niamey, Niger)

né en 1939, Togo - décédé en 2014, Niamey, Niger

actif de 1963 à 1975 à Niamey

Pendant 40 ans, depuis les années 1960 de l’Indépendance, Philippe Koudjina sillonne la capitale du Niger de bars en night-clubs avec son appareil photographique 6x6 pour nous laissez aujourd’hui la mémoire de cette époque de liberté et de joie. Il fréquente aussi bien les boites de nuits des jeunes Nigériens qui se réunissent pour s’amuser et danser aux airs de rumba zaïroise et des tubes occidentaux à la mode que les cercles militaires et parachutistes français basés dans le pays.

Il est l’homme de la nuit que chacun accueille pour sa gentillesse et son entrain qu’il transmet à tous. Toujours prêt à participer et saisir le moment important : le mariage aux danses tourbillonnantes dans une concession, la rencontre des amoureux au bar, la vieille joueuse d’accordéon, le bras de fer avec Johnny Hallyday ou le départ à l’aéroport de Maria Callas et Pier Paolo Pasolini en repérage pour le film Medea en janvier 1970. L’âge d’or pour le photographe-reporteur.

[déroulez le diaporama ci-dessous]

 

Nous l’avons rencontré en janvier 1997, fort tard dans la nuit des night-clubs de Niamey. L’homme toujours souriant, prêt à prendre une photographie, nous conseille de revenir au calme chez lui le lendemain, il nous montrera… Au fond d’une humble concession, il nous attend devant une bâtisse de terre et de tôles où il habite avec sa jeune femme et deux de ses enfants encore en très jeunes. Il fait très chaud, il envoie l’un des enfants chercher des sucreries. L’homme est jovial, profondément humain. Heureux, même si déjà les douleurs physiques et les difficultés quotidiennes le tenaillent. On va parler de sa passion, la photographie.

 

Personne n’est encore venu lui demander de raconter sa vie de photographe-reporteur des grandes années du Niger riche de l’uranium, même s’il est dans la mémoire de tous à Niamey. Personne n’est encore venu voir ses milliers de négatifs en gélatine noir et blanc 6x6 (et quelques photos couleurs) couverts de poussière et rayés par le temps. Le vieux Rolleiflex et son flash, maintenant hors d’état de marche, sont rangés dans une armoire avec d’autres appareils d’un autre temps, Polaroïd, panoramiques… Les appareils photo couleurs plus récents ont été revendus depuis longtemps pour quelques milliers de CFA. Il dit qu’il en a eu plus de soixante, pour lui, comme pour tous ceux qu’il a formé à la photographie. De nombreuses malles métalliques remplies de négatifs pêle-mêle occupent l’une des 3 pièces. Ses négatifs sont l’unique bien qu’il possède, le plus précieux. Le souvenir de ses plus belles années.

 

Philippe Koudjina marche maintenant avec difficultés et ne regrette rien de sa vie passée de photographe. Ses yeux scintillent en se rappelant ses années de jeunesse prospère. Alors il n’hésitait pas à se photographier lui-même avec le retardateur dansant au milieu de ses amis. Observateur avec son appareil photo, il est aussi l’un des leurs, bon vivant. Mais la fête a pris fin avec les difficultés du pays dans les années 1970 et la dure vie quotidienne. La photographie professionnelle a perdu alors son statut face à la concurrence des appareils photo bon marché à la disposition de tous, l'apparition de laboratoires automatiques couleurs asiatiques et aussi la vidéo. Philippe Koudjina a de moins en moins de raison de vivre pour la nuit. Et depuis longtemps la nuit fait vivre de plus en plus difficilement sa famille.

 

Maintenant, tristement avec sa béquille et son fauteuil roulant, il reste des heures au carrefour du Grand Marché à regarder la foule passer. Puis ses yeux n’ont plus rien vu. Comme si pour lui ses négatifs s’estompaient dans la chaleur et la poussière des heures chaudes de Niamey. Ses appels à l’aide sont essentiellement pour sa famille, ses enfants. Trop tard, trop difficile de se faire soigner lui-même, sa foi de bon chrétien l’aidant à survivre.

 

Pourtant, Philippe Ayi Koudjina, né en 1939 à Cotonou, est issu d’une respectée et prospère famille des Mina de l’ancien Dahomey. Dès 5 ans, son père enseignant l’inscrit à l’école. Philippe parle le Français comme l’Allemand - sa famille est originaire d’Aného dans le Sud-Togo - et il poursuit son éducation jusqu’en première avec une formation de géomètre. En 1959 à 20 ans, il rejoint l’une de ses 2 soeurs, l’une enseignante, l’autre sage-femme mariée à un médecin, installée à Niamey où l’on manque de cadres. Jeune homme, il travaille dans une société de travaux publics puis une autre de commerce sur l’Afrique de l’Ouest mais la passion de la photographie le pousse à devenir photographe professionnel en 1963 avec son nouveau Rolleiflex d’occasion, à une époque où l’image photographique est encore recherchée et donne du prestige. Soutenu par les Dahoméens installés au Niger, il devient vite le photographe incontournable sollicité de toute part.

 

C’est la nuit qu’il préfère travailler, au célèbre bar de l’Ermitage fréquenté par les militaires et parachutistes français basés à Niamey, au Harry’s Bar ou au Tropicana… Il ouvre son studio “Photo-Souvenir“ en 1963 car c’est à la mode et même en 1969 un second studio au Grand-Hotel de Niamey mais ne délaisse jamais ses virées nocturnes ou les réunions entre amis dans les concessions. Il aime la vie.

 

Longtemps, il a fait développer ses bobines de films couleurs en France, envoyées en express à un studio du Touquet (!) qui lui offre alors le meilleur prix, comme en atteste les nombreuses pochettes de négatifs conservés par lui. Par la suite, il donne ses films à des laboratoires de Niamey au petit matin après sa tournée nocturne avant de traverser la ville dans la matinée pour vendre les tirages aux intéressés. Quelques heures de repos dans l’après-midi pour retrouver sa famille avant de repartir au crépuscule à la poursuite des noctambules. C’est un photographe que tout le monde aime et qui ne ménage pas ses efforts. Et il en vit très bien, appelé par les politiques et les personnalités aisées, par les milieux européens et les vedettes de passage à Niamey comme par la jeunesse nigérienne pour une fête ou un mariage.

 

En 1979, la chute du cours de l’uranium et plusieurs sécheresses successives plongent le Niger dans le déclin. Chacun cherche à se débrouiller. L’arrivée des photographes amateurs improvisés sur le marché et des mini-labs couleurs sans grandes exigences signent la fin de la belle époque de la photographie 6x6 noir et blanc. Philippe Koudjina doit vendre ses appareils pour vivre. Il abandonne au début des années 2000 le métier avant de plonger dans la mendicité.

 

L’oeuvre de Philippe Koudjina est importante. Elle nous montre une jeunesse de Niamey pleine de vitalité, hors des studios, à la période charnière des Indépendances africaines, comme l’ont photographié Malick Sidibé à Bamako et Jean Depara à Kinshasa, chacun avec son talent.

 

Sa première exposition ’L’Afrique par elle-même’ (Africa by Africans) réalisée par Revue Noire, présentée à la MEP (Maison Européenne de la Photographie) à Paris en 1998 (suivi de nombreuses présentations dans le monde à Sao Paolo, Cape Town, Bamako, Berlin, Londres, Washington, New York, Bologne, Tervuren, Porto) révèlera son talent internationalement, avant sa rétrospective aux Rencontres de la Photographie de Bamako en 2001. Par la suite l'association Contrechamps a réalisé plusieurs expositions en France.

 

Certes, nombres d’autres photographes africains surgiront de l’oubli et chacun nous racontera, avec leurs images, leurs vies et l’histoire de leur pays. Avec toute la fierté et la joie qu’ils ont eu à la vivre.

À l’heure où la photographie africaine a enfin acquis une valeur de patrimoine et de mémoire reconnue partout de tous, l’oeuvre de Philippe Koudjina restera pour toujours un témoin essentiel du Niger de cette époque.

 

par Pascal Martin Saint Leon

(d’après les souvenirs de Philippe Koudjina filmés par Revue Noire chez lui en janvier 1997)

 

 

Bibliographie

“Anthologie de la Photographie africaine“, Revue Noire, Paris 1998

“Le Niger des années Yé-Yé“ byJean loup Pivin, L’Événement du Jeudi, 16 juillet 1998

“Les Africains“ by Frédérique Chapuis (n°8), Télérama, 26 août 1998

“Anthology of African Photography“, Revue Noire-DAP, Paris-New York 1999

“Portrait Afrika“, catalogue de l’exposition Revue Noire, Haus der Culturen der Welt, Berlin, 2000

“L’Afrique par elle-même“, Revue Noire, Paris 2000

“Il était une fois un photographe émérite“, le décès de Philippe Ayi Koudjina, article de Aliou Ousseini  journal “Le Sahel“, 30 mai 2014 (lire l'article ICI)

 

 

Filmographie

“Entretien avec Philippe Koudjina“ by Pascal Martin Saint Leon, Revue Noire, PAL Niamey 1997

“Photo-Souvenir, Philippe Koudjina“ by Paul Cohen and Martijn van Haalen, PAL16:9 54 minutes, Amsterdam 2005

 

 

Dans les publications Revue Noire

 

RevueNoire-Antho-Photo-FR-002
Anthologie de la Photographie Africaine

 

Magazine Revue Noire RN17 Mali-Niger-Burkina Faso
Magazine Revue Noire RN17 Mali-Niger-Burkina Faso

 

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